NoteOfHope - 120000 euros !

120000 euros !

Je pose un court instant ma main sur une fine épaule d’enfant. Je me penche, je demande « Nora, tu peux continuer toute seule ? ». Elle lève à peine les yeux et me répond « non je préfère jouer avec toi ». De l’autre main je tiens contre mon oreille un téléphone cassé, sans batterie, tout cabossé. Je fais un appel d’urgence, c’est Finn au bout du fil, je lui dis « au secours, monsieur le pompier, mes enfants sont montés trop haut dans l’arbre, ils ne savent plus redescendre ». Le temps d’entendre au loin sa petite voix qui pouffe de rire et qui répond fièrement « pas de panique madame, nous arrivons le plus vite possible », je lève un pieds pour laisser passer les balles que Fanny fait rouler dans la pièce. D’un œil, je regarde Léa faire de la peinture, de l’autre je cherche les solutions du jeu que je fais avec Nora. Derrière moi, j’entends ma fille Emma lire un livre aux petites Sara et Annie. Nous sommes dimanche matin, aujourd’hui c’est moi qui m’occupe des petits enfants à l’église (les 3-6 ans, mon âge de prédilection). Quelques enfants, une histoire de la Bible, des jouets, de l’imagination à tout péter, des papiers et des crayons… pendant une heure, c’est mon petit royaume et c’est comme si j’avais gagné 120 000 euros au loto. Cette fois-ci, c’est ma fille Ann-Céline qui joue de la guitare et nous chantons que Dieu nous aime et qu’il fait pousser les fleurs en faisant de grands gestes. Puis nous rions tous ensemble en laissant rouler des petites balles en plastiques dans notre grand parachute coloré, tout calmement et puis comme si une tempête éclatait, les balles volent, les enfants crient, il y a de la vie dans notre programme. Avant que tout commence, J’avais préparé un coin pour y raconter mon histoire. Quelques coussins traînent sur les chaises d’enfants. Moi, j’ai la grande chaise : celle de la raconteuse ! Des pinceaux, des couleurs à l’eau et un grand bloc de dessin trônent à portée de main. La feuille est encore toute blanche jusqu’à ce que j’y passe mon pinceau plusieurs fois, un bonhomme apparaît. Les enfants sont captivés. C’est un petit tour de « passe/passe ». Trop facile en fait, j’avais dessiné Jésus auparavant avec une bougie blanche. Quelques gros traits de couleurs dessus et… magie magie… sa silhouette apparaît sur le papier. Sur la prochaine feuille c’est un bateau qui se dessine. J’y rajoute Jésus et ses 12 amis, les enfants comptent avec moi. Puis Jésus veut dormir alors les enfants prennent leur coussin dans les bras et tous ensemble nous ronflons à tout rompre. Mon petit public écoute, attentif, parfois assis, parfois debout, « Nina pousses-toi, je ne vois rien » dit Finn, qui du haut de ses 4 ans sait déjà bien ce qu’il veut. Nina a déjà 6 ans mais elle est un peu en retard dans son développement, alors on lui dit et on lui répète gentiment les mêmes choses 15 fois s’il le faut… elle, elle aime bien les biscuits, j’en ai pris avec, des petites lettres, et hop 4 dans la main, la bouche est occupée et les oreilles sont libres. On m’écoute en mâchouillant tranquillement. Jésus dort profondément quand la tempête éclate, il faudra qu’on crie comme des malades pour qu’il se réveille. Je redessine le bateau sur ma feuille, Nora qui est là pour la première fois me dit « ça coule »… « ah ben oui tu as raison j’ai mis trop d’eau sur mon pinceau », ma couleur fait une longue ligne brune sur mon papier, « bah c’est pas grave tu sais »… « Mamaaaaaaan, le niveau d’eau est plus haut d’un côté que de l’autre » (ça c’est ma grande fille qui n’hésite pas à me faire remarquer que mon dessin craint à fond). Je grifouille, je raconte, je savoure… j’explique « Jésus a dit à la tempête de se calmer, comme quand maman ou papa disent ‘hé ho, c’est pas bientôt fini maintenant’ et la tempête lui obéit ». Quelques mots et puis on prie ensemble, Pia qui n’a pas lâché sa tétine depuis le début, prie un truc incompréhensible, court, magnifique qui finit par un retentissant « coucou » au lieu d’un amen trop cérémonial. Je prie, j’ouvre à moitié un œil (pour vérifier que je n’oublie aucun enfant), je dis un à un le nom de mes petits bouts de chou. « Merci Jésus parce que Nina, Annie, Sarah, Finn,… sont là et que tu les aime si fort… tu es toujours avec eux… ». La suite vous la connaissez déjà, quelques biscuits et de quoi boire, surtout pour Nora et sa sœur qui n’ont pas l’air d’avoir déjeuné avant de venir. Une main sur une épaule, un sourire, des papiers qui volent, des balles qui roulent, des poupées qu’on cache dans les plantes, des livres qu’on lit à plusieurs dans un coin de la pièce, des commandes de repas, des spaghettis imaginaires dans des assiettes en plastiques. Un café invisible que l’on sirote en faisant le plus de bruit possible et en s’exclamant plusieurs fois « mais qu’il est bon, mais quel délice ! »… des doigts passés dans les cheveux quand on se penche pour donner des crayons de couleurs. Un nounours que l’on enferme dans une armoire en disant « monsieur le pompier, mon fils est coincé dans les toilettes ». Et puis parfois une grosse voix qui dit « ah non, pas ça ! Non Pia on ne court pas le derrière à l’air, viens ici que je te remette ton lange ». Bref, ce matin, j’ai gagné 120 000 euros et je les ai bien dépensés. 120 000 euros c’est ce que m’aurait coûté 60 minutes de publicités sur une bonne chaîne de télé française le dimanche matin entre 2 émissions pour enfants. 60 minutes c’est le temps que j’ai eu avec mes petits bouts à l’église pour leur parler de mon ami Jésus et pour leur montrer qu’ils sont importants pour lui, pour moi aussi, et qu’ils font bien partie de notre église. 60 minutes, une histoire, quelques chants, des jeux et des rires, quelques bêtises et du coin de l’œil se demander combien de minutes il nous reste. Et puis, le culte est fini, j’interromps le jeu que je fais pour mettre une derrière fois un lapin en hauteur et rappeler le pompier, je ramasse les verres à moitié vides, quelques parents ont déjà récupéré leurs enfants, quelques petits préfèrent rester avec moi. Et je me rappelle que j’ai eu une fortune dans les doigts, parce que l’attention que l’on porte à quelqu’un et que quelqu’un vous porte ça vaut plus que de l’or, c’est impayable. C’est toute la richesse que le temps nous donne.